Vaccin obligatoire en entreprise : retour sur des annonces qui ne « pass » pas

Vaccin obligatoire en entreprise : retour sur des annonces qui ne « pass » pas

Auteur : Allégrah DINE MOREIRA - Etudiante en Master Droit Social - Stagiaire SELARL Benoît LEGRU Avocat
Publié le : 05/08/2021 05 août août 08 2021


Le 12 juillet 2021, le Président de la République annonçait une série de mesures pour endiguer la reprise de l’épidémie Covid-19, reprise causée notamment par la propagation du variant Delta. Parmi ces mesures, l’obligation vaccinale pour les personnels soignants, ainsi que le passe sanitaire obligatoire dans certaines professions.

Alors que le Conseil constitutionnel devait rendre ce jeudi 5 août 2021 son avis sur le projet de loi relatif à la crise sanitaire, les débats qui émergent sont l’occasion de revenir sur ce qui était déjà en place s’agissant de la vaccination en entreprise et de ses conséquences.
 

Vaccin obligatoire pour les personnels soignants

Le vaccin contre le Covid-19 ne sera pas le premier vaccin obligatoire pour certains professionnels de santé. En effet, conformément à l’article L.3111-4 du Code de la santé publique,

« Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l'exposant ou exposant les personnes dont elle est chargée à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe ».

Ce n’est donc pas une grande surprise que le vaccin contre le Covid-19 soit rendu obligatoire dans les établissements de soins, et en particulier dans les EHPAD où depuis le début de l’épidémie, plus de 34 600 résidents ont trouvé la mort des suites du Covid-19.

En ces temps où les hôpitaux et autres établissements de santé manquent déjà cruellement de main d’œuvre, la question se pose toutefois s’agissant des sanctions à appliquer aux soignants réticents.
 

Vaccin et obligation de sécurité de l’employeur

Avant même d’évoquer le risque de transmission d’une maladie quelconque d’un travailleur à un collègue, un patient ou un client, il convient de préciser que, conformément à l’article L.4121-1 du Code du travail, « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

La responsabilité de l’employeur qui laisse travailler son salarié non vacciné pourrait être engagée dans le cas où ce dernier tomberait gravement malade des suites de la contamination par une bactérie ou un virus sur son lieu de travail.

Non seulement le salarié ayant contracté l’agent pathogène sur son lieu de travail pourra établir qu’il s’agit d’une maladie professionnelle, mais également que son employeur avait conscience du danger et n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Serait ainsi démontrée l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur.

Du fait de la grande contagiosité du Covid-19, plus encore du variant Delta, un employeur dont le lieu de travail est particulièrement exposé au virus a donc tout intérêt à veiller à la vaccination de son personnel s’il entend prouver qu’il a respecté son obligation de santé et sécurité à l’égard de ces derniers.

Par ailleurs, la responsabilité de l’entreprise pourrait être engagée dans le cas où un salarié non vacciné et non testé contaminerait un patient ou un client.

Ce dernier aurait alors la possibilité de se retourner contre l’entreprise qui, malgré sa conscience du danger de contagiosité, n’aurait rien fait pour empêcher la survenance du risque.

Enfin et conformément aux dispositions de l’article L.4122-1 du Code du travail, la responsabilité du travailleur pourrait également être engagée dans le cas où il mettrait en danger ses collègues.

En effet, « il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».

Là encore, la question se pose des sanctions à appliquer pour les travailleurs non désireux de se faire vacciner. Et ici à nouveau, les professions concernées sont déjà particulièrement touchées par des pénuries de main d’œuvre, à l’image des CHR qui peinent à recruter des travailleurs expérimentés depuis leur réouverture.
 

Sort du contrat de travail des travailleurs non vaccinés

Le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire prévoyait initialement le licenciement des travailleurs refusant de se faire vacciner et ne présentant pas de passe sanitaire.

Le 20 juillet 2021, le Conseil d’Etat rendait un avis sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire. S’agissant des incidences du passe sanitaire sur le contrat de travail, les Hauts magistrats rappelaient tout d’abord la jurisprudence existante, et indiquaient ainsi que :

« il est loisible au législateur de créer un motif spécifique de cessation de fonction ou de licenciement à condition de garantir à la personne concernée le respect des droits de la défense ».

Ensuite, il était fait rappel des dispositions de la convention n°158 de l’Organisation internationale du Travail (OIT), exigeant « que les Etats signataires prévoient une procédure contradictoire avant le licenciement ».

Le Conseil d’Etat estimait donc « ainsi nécessaire de compléter le projet de loi afin de rendre applicable à ce nouveau motif de licenciement les procédures prévues pour le licenciement mentionné à l’article L. 1232-1 du code du travail et, pour les salariés protégés, aux dispositions du livre IV de la deuxième partie du code du travail ».

Le licenciement des travailleurs réticents au vaccin, et ne souhaitant pas présenter de passe sanitaire, restait donc possible selon le Conseil d’Etat, mais devait être encadré.

En pratique, la décision de licenciement peut pourtant être problématique pour un employeur : comment licencier du jour au lendemain des salariés parfois présents dans l’entreprise depuis des années ? Sur quel motif faire reposer le licenciement ?

A ce titre, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt rendu le 11 juillet 2012 que le licenciement pour cause réelle et sérieuse du salarié refusant de se faire vacciner était justifié.

En effet, dès lors que la réglementation applicable à une entreprise de pompes funèbres imposait la vaccination contre l'hépatite B à ses salariés, la cour d'appel, qui constatait la prescription de ladite vaccination à un salarié par le médecin du travail et l'absence de contre-indication médicale de nature à justifier le refus de l'intéressé, en déduisait exactement que ce dernier ne pouvait s'opposer à cette vaccination. (Soc., 11 juill. 2012, n°10-27.888)

S’agissant des établissements de soins où la vaccination serait rendue obligatoire, le refus du salarié de se faire vacciner aurait pu conduire à son licenciement, cette fois pour inaptitude.

En effet, la lettre circulaire du 26 avril 1998 du GERES « relative à la pratique des vaccinations en milieu de travail par les médecins du travail » laissait au médecin du travail le soin de délivrer au soignant un avis d’aptitude médicale.

Dans le cas où ledit soignant refusait de se faire vacciner, cet avis ne pouvait être donné, et l’intéressé se serait vu attribuer une nouvelle affectation, ou dans le cas où cela n’aurait pas été possible, se serait vu licencier par son employeur.

Conformément à l’article L.1111-4 du Code de la santé publique, « toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement ». Cependant, l’obligation de santé et sécurité qui incombe à l’employeur lui permet de licencier le salarié qui ne souhaiterait pas recevoir le vaccin rendu obligatoire par les dispositions légales.

Dans tous les cas, et peu importe le motif du licenciement, se pose la question de la charge financière pesant sur l’employeur qui serait dans l’obligation de licencier son salarié ne souhaitant pas se faire vacciner.

Certains employeurs craignent ainsi de devoir verser des indemnités de licenciement potentiellement importantes à leurs salariés, ce qui, notamment pour les petites structures, serait de nature à mettre en péril leur trésorerie.

Lors du passage de la loi au Sénat, a ainsi été décidée la suppression du licenciement pour les réfractaires au vaccin, remplacé par une suspension du contrat de travail et, a fortiori, de la rémunération du salarié.
 

Responsabilité en cas de difficultés liées au vaccin ou à son administration

Selon l’article L.3111-9 du Code de la santé publique,

« Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale ».

L’ONIAM est un établissement public à caractère administratif de l’Etat. En cas de problème directement lié à un vaccin rendu obligatoire, c’est donc l’Etat qui porte la charge de la réparation intégrale des préjudices causés dans le cadre d’un fonds national d’indemnisation.

Dans une décision rendue le 10 avril 2009, le Conseil d’Etat a par ailleurs reconnu la responsabilité sans faute de l’Etat, à l’égard d’une femme atteinte d’une sclérose en plaques, qu’elle imputait à la vaccination contre l’hépatite B reçue en tant qu’aide-soignante. (CE, 10 avr. 2009, no 296630, Rec. Lebon)

En outre, la Cour de cassation a déjà décidé de la prise en charge au titre de la législation des accidents du travail, d’un salarié ayant développé une sclérose en plaques après qu’un vaccin contre l’hépatite B lui ait été imposé en raison de son activité professionnelle (Soc., 2 avr. 2003, n°00-21.768)

S’agissant de l’obligation du passe sanitaire dans les entreprises hors établissement de santé, puisque ce n’est pas la vaccination qui est elle-même obligatoire, et qu’elle peut être remplacée par la réalisation d’un test PCR, il n’est pas certain que la responsabilité de l’employeur puisse être engagée en cas de difficultés.

La question de la prise en charge au titre de la législation AT-MP reste cependant entière et doit être précisée.


A savoir : Le Conseil Constitutionnel a rendu le 5 août 2021 sa décision concernant la loi relative à la gestion de la crise sanitaire. L’institution a notamment censuré les dispositions du projet de loi prévoyant la rupture anticipée du Contrat de travail à durée déterminée pour non présentation du passe sanitaire, jugeant que ces dispositions méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi et étaient contraires à la Constitution. Ils ont cependant jugé que les dispositions permettant la suspension du contrat de travail et de la rémunération en cas de de défaut du passe sanitaire rendu obligatoire étaient conformes à la Constitution. (Décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021)

Plusieurs questions restent donc aujourd’hui toujours en suspens : Qu’adviendrait-il du CDD suspendu qui arriverait à son terme ? Que penser des licenciements prononcés pour non présentation du passe sanitaire ou du vaccin obligatoire ? Ces derniers se trouvant en contradiction avec la décision du conseil constitutionnel risqueraient l’annulation. Les salariés ayant subi des complications des suites du vaccin seraient-ils pris en charge au titre de la législation AT-MP ?

Il conviendra de préciser ces points afin que ne persiste pas le flou juridique sur le sujet…

 

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