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Photo du rédacteurMaurine STERZ--HALLOO

LA LIBERTÉ RELIGIEUSE AU TRAVAIL : UNE LIBERTÉ ABSOLUE ?

La liberté religieuse s’est vue consacrée une valeur fondamentale par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1), par la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (2), et par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (3).


En ce sens, le Code du travail (4) prohibe toute sanction ou tout licenciement en raison des convictions religieuses d’un salarié.


Il ne serait donc pas possible d’interdire de manière générale et absolue toute pratique religieuse au travail.


Pour autant, plusieurs études, notamment celle de l’Institut Montaigne de 2020/2021, mesurent que, depuis 2013, la pratique religieuse des salariés pose problème pour une minorité d’entreprises.


C’est dans ce contexte qu’une importante jurisprudence s’est développée en la matière.


Si la liberté de croire ou de ne pas croire semble être absolue, ce n’est manifestement pas le cas de la pratique religieuse en entreprise.


En effet, si l’Article L.1121-1 du Code du travail garantit le respect des droits et libertés fondamentaux du salarié, il peut toutefois être porté atteinte à une liberté fondamentale « uniquement » si elle est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.


Seulement, le terme « uniquement » renvoie à bien des hypothèses.


Hypothèse n°1 : La gestion d’une mission de service public


La loi du 9 décembre 1905 a institué la séparation des Eglises et de l’Etat, en d’autres termes les principes de neutralité et de laïcité.


De telle manière, la participation à une mission de service public a pour effet d’interdire à tous salariés la manifestation de croyances religieuses par des signes extérieurs.


Ces règles sont applicables tant aux agents administratifs exerçant une activité de service public qu’aux salariés de droit privé exerçant une mission service public (5).


Hypothèse n°2 : Le cas des entreprises de tendance


Certaines entreprises dites de « tendance » ou encore de « conviction » sont en mesures d’imposer l’adhésion à leurs valeurs, notamment religieuses (6).


Etant précisé qu’une telle entreprise a pour objet de « promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques ».


Hypothèse n°3 : L’existence d’une clause de neutralité


La loi du 8 août 2016, venue codifier les règles dégagées par la jurisprudence BABY LOUP, a introduit l’Article L.1321-2-1 dans le Code du travail.


Désormais, le règlement intérieur d’une entreprise peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés à conditions que les restrictions soient proportionnées au but recherché et justifiées soit par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ; soit par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise.


Ces conditions sont appréciées in concreto par les juges du fond, notamment eu égard à la taille de l’entreprise, de la similitude des tâches effectuées par l’ensemble des salariés, voire compte tenu de l’objet même de l’activité.


En sus de ces deux premières conditions, la clause de neutralité religieuse doit être générale et indifférenciée (7), c’est-à-dire :

  • viser indifféremment toute manifestation de convictions politiques, philosophiques ou religieuses ;

  • traiter tous les salariés de l’entreprise de manière identique ;


à moins que la clause ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime et que les moyens de le réaliser ne soient appropriés et nécessaires.


Enfin, ladite clause doit strictement être limitée aux salariés en contact avec la clientèle (8).


Etant précisé que, en présence d’une telle clause et du refus du salarié de s’y conformer, l’employeur doit rechercher, si tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer audit salarié un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec les clients, plutôt que de procéder à son licenciement (9).


Ces règles ne sont applicables qu’aux employeurs de droit privé.


Hypothèse n°4 : L’absence de clause de neutralité


En l’absence d’une clause de neutralité religieuse, voire lorsque cette dernière est irrégulière ou nulle, le droit relatif aux différences de traitement et à la discrimination s’applique aux employeurs de droit privé.


Par conséquent, il n’est pas fait obstacle aux différences de traitement lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée (10).


En l’absence de clause de neutralité, le fait qu’une salariée, vêtue d’un foulard islamique, soit en contact avec la clientèle ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante (11).


Logiquement, la solution est la même pour le salarié qui, en contact avec la clientèle de l’entreprise, porte une barbe (12), sous réserve que l’employeur justifie d’un objectif légitime de sécurité du personnel et des clients.


A toutes fins, le Conseil d’Etat précise que le port de la barbe, « malgré sa taille », ne saurait caractériser la « manifestation de convictions religieuses dans le cadre d’un service public » (13). Les juges du palais royal donnent ainsi une leçon à la Cour administrative d’appel de Versailles qui jugeait, sur les seuls faits que le salarié refusait de tailler sa barbe et ne niait pas que son appartenance physique pouvait être perçue comme un signe d’appartenance religieuse, que la barbe qu’il portait pouvait être regardée comme étant par elle-même un signe d’appartenance religieuse.


En effet, une barbe peut revêtir des significations multiples, variables selon les cultures et les modes.


L’étude précitée (14) démontre que l’un des éléments déterminants dans la gestion de telles situations marquées par le fait religieux est le soutien des ressources humaines et des services juridiques. Pourtant, 46,7 % des entreprises sondées gèrent encore seules ces situations.


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Notes :

(1) Article 10

(2) Article 9

(3) Article 10

(4) Article L.1132-1

(5) Cass. Soc. 19 mars 2013 n°11-28.845 « BABY LOUP » et n°12-11.690 « CPAM »

(6) Ass. Plén. 25 juin 2014 n°13-28.369 « BABY LOUP II »

(7) CJUE. 14 mars 2017 C-157-15

(8) CJUE. 14 mars 2017 C-188-15

(9) Cass. Soc. 22 novembre 2017 n°13-19.855

(10) Articles L.1133-1 et L.1132-1 du Code du travail

(11) CJUE. 14 mars 2017 C-188-15, Cass. Soc. 14 avril 2021 n°19-24.079

(12) Cass. Soc. 8 juillet 2020 n°18-23.743

(13) CE. 12 février 2020 n°418299

(14) Etude de l’Institut Montaigne

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