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  • Allégrah DINE MOREIRA

NOUVELLE ÉTAPE POUR LA RECONNAISSANCE DES DROITS SOCIAUX OFFERTS AUX TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES

Ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation. JORF n°0095 du 22 avril 2021.


La crise sanitaire liée au Covid-19 n’a pas manqué de rappeler l’importance du rôle des travailleurs des plateformes numériques. Les livreurs notamment, ont largement compensé la fermeture temporaire des restaurants, en plus de fournir un service de livraison de courses à domicile aidant ainsi les personnes contraintes par des horaires de travail incompatibles avec les horaires de couvre-feu. Pourtant, face à la croissance exponentielle du nombre de ces travailleurs, il faut souligner le manque de sécurité juridique auquel ces derniers sont confrontés. Le modèle économique des plateformes repose en effet très largement sur l’établissement de « partenariats » avec des travailleurs indépendants, et non sur l’embauche de salariés. Loin de s’adapter à la législation sociale nationale des Etats où elles s’implantent, les plateformes numériques imposent leur modèle économique, laissant le soin aux législateurs de constituer un environnement juridique adapté pour ces travailleurs. Les livreurs Uber Eat, Deliveroo et autres que l’on croise quotidiennement dans les rues n’ont ainsi ni le statut de salarié, ni les différents droits sociaux afférents à ce statut. C’est dans ce contexte qu’a été publiée le 21 avril 2021 l'ordonnance n° 2021-484 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation.


Un contexte de protection progressive des travailleurs des plateformes numériques


L’ordonnance du 21 avril 2021 fait suite à la remise en décembre 2020 du rapport de Jean-Yves Frouin qui avait été missionné à l’automne 2019 par l’ancien Premier Ministre Edouard Philippe de travailler sur la régulation des plateformes numériques, notamment sur l’organisation d’un dialogue social entre ces dernières et leurs « partenaires » travailleurs indépendants.


Ce processus de régulation a été lancé 5 ans auparavant, avec la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Cette loi avait notamment introduit un nouveau titre dans la septième partie du Code du Travail, intitulé « travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique ». Plusieurs droits ont ainsi été accordés à ces travailleurs, dont le droit de grève (ou plutôt le droit aux « mouvements de refus concerté de fournir leurs services » (1)) et le droit à la liberté syndicale.


L’utilisation croissante de ces plateformes numériques sur le territoire français a pour conséquence la multiplication du nombre de travailleurs indépendants, et donc potentiellement la multiplication du nombre de conflits sociaux. Conscient de ce danger et face aux limites de la loi de 2016, le législateur a ainsi envisagé la nécessité de l’organisation d’un dialogue social entre les plateformes et leurs travailleurs indépendants. L'article 48 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités a ainsi autorisé le gouvernement à instaurer par voie d’ordonnance les mesures déterminant les modalités et conditions d’exercice de la représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes numériques.


Un encadrement juridique essentiel du droit de représentation des travailleurs des plateformes numériques


L’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 vient modifier les dispositions de la septième partie du Code du Travail. Le texte a pour objectif d’encadrer la représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes numériques qui déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixent leur prix dans le secteur des VTC et de la livraison. Tout travailleur indépendant justifiant d'une ancienneté de trois mois d’activité dans le secteur économique considéré, pourra être électeur au scrutin qui se tiendra tous les quatre ans.


Deux principaux apports sont à relever :

  • Le premier apport de l’ordonnance est la création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi. Il s’agit d’un établissement public national à caractère administratif qui a pour mission principale la régulation du dialogue social entre les travailleurs indépendants et les plateformes avec lesquelles ils sont liés contractuellement, « notamment en assurant la diffusion d'informations et en favorisant la concertation ». L’Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi aura ainsi un rôle central et des pouvoirs importants. Elle sera dirigée par un directeur général et administrée par un conseil d’administration comprenant des représentants des organisations de travailleurs et des représentants des plateformes.

  • Le second apport de l’ordonnance est la protection des travailleurs indépendants élus comme représentants. Une plateforme ne pourra ainsi pas rompre le contrat qui la lie au travailleur indépendant élu sans obtenir au préalable l’autorisation de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi. Il en ira de même durant les six mois suivant l’expiration du mandat de représentant.


La publication de cette ordonnance s’inscrit dans un contexte international de protection progressive des travailleurs indépendants au service des plateformes numériques. La Cour Suprême Britannique a ouvert la voie le 19 Février 2021 (2), en estimant que les chauffeurs Uber pouvaient prétendre au statut de « workers ». Au Royaume-Uni, ce statut intermédiaire entre celui de salarié et celui de travailleur indépendant, ouvre notamment droit à un salaire minimum et à des congés payés. Peu de temps après, le parquet de Milan a exigé la requalification du contrat de plus de 60 000 livreurs en contrat de travail salarié. La justice italienne a en outre condamné les plateformes visées par la procédure, au paiement d’importantes sommes au titre des contributions sociales non versées. Enfin en mars 2021, un accord entre le gouvernement espagnol et les partenaires sociaux a prévu d’introduire dans le Code du Travail national une présomption de salariat pour les livreurs de repas à domicile.


En France, la question du statut de ces travailleurs indépendants fait encore débat et ce malgré la décision de la Cour de cassation dans le très médiatisé arrêt Uber du 4 mars 2020. Dans cette affaire, la Haute juridiction avait approuvé l’analyse de la Cour d’appel qui, par la technique du faisceau d’indices, avait relevé l’existence d’un lien de subordination entre la société Uber et l’un de ses chauffeurs. La Cour de cassation avait ainsi jugé « fictif » le statut de travailleur indépendant, et décidé de la requalification en contrat de travail du contrat liant le chauffeur et la plateforme numérique.


Pourtant depuis, aucune disposition n’a été mise en place pour accorder le statut de salarié à ces travailleurs au service des plateformes numériques, le gouvernement se refusant à franchir cette étape. Si l’ordonnance du 21 avril 2021 reste une idée intéressante pour protéger ces travailleurs, elle ne semble pas être une réponse suffisante pour pallier le manque indéniable de droits sociaux qui leurs sont offerts. Qui parmi ces travailleurs aura connaissance de ces nouvelles dispositions et osera se présenter à ces élections ? Qui parmi eux prendra le temps de participer au scrutin ? Où les représentants élus pourront-ils se réunir pour échanger et partager leurs idées ? Des locaux seront-ils mis à la disposition de ces représentants qui, pour la plupart travaillent dans la rue ? La réforme du statut de ces travailleurs semble être une étape incontournable pour assurer leur protection. Ainsi à l’heure actuelle, seule l’initiative des plateformes elles-mêmes, à l’instar de Just Eat en France qui ne recrute que des livreurs salariés, apporte une réponse à la précarité grandissante de ces travailleurs.


Notes :

(1) Article L.7342-5 du Code du Travail

(2) The Supreme Court : Uber BV and others (Appellants) v Aslam and others (Respondents). Case ID: UKSC 2019/0029

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