Par un arrêt très attendu en date du 16 novembre 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société de production ALP et confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de VERSAILLES ayant condamné la société à indemniser la famille de l’une des victimes, caméraman, pour faute inexcusable (Cass. Soc. 16 novembre 2023 n°21-20.740).
Pour rappel, le 9 mars 2015 en Argentine, à l’occasion du tournage du jeu « Dropped », deux hélicoptères entraient en collision provoquant la mort de 10 occupants, dont 8 français parmi lesquels Florence Arthaud, Camille Muffat, Alexis Vastine ou encore le caméraman de la société française de production ALP.
Le 20 mars 2015, la CPAM des Hauts-de-Seine prenait cet accident en charge au titre de la législation professionnelle.
Le 24 novembre 2016, la famille du caméraman saisissait la caisse pour voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur, laquelle refusait de la reconnaître le 23 janvier 2017.
La famille du caméraman saisissait alors, le 25 janvier 2017, le Tribunal des affaires de sécurité sociales des Hauts-de-Seine, lequel faisait droit à la demande de la famille par un jugement en date du 20 avril 2018.
La société de production ALP, faisait appel de la décision.
Néanmoins, par un arrêt en date du 27 mai 2021, la Cour d’appel de Versailles confirmait le jugement rendu en première instance.
Bien que la société de production ALP ne remettait pas en cause le caractère professionnel de l’accident, celle-ci soutenait ne pas avoir conscience du danger et donc qu’aucune faute inexcusable ne pouvait être retenue à son encontre.
Tout au long des différentes procédures, l’employeur avançait plusieurs arguments, notamment :
- « Les transports étaient effectués par deux hélicoptères d’un modèle correspondant à l’une des versions monomoteurs la plus performante et récente, chacun étant piloté par un pilote particulièrement expérimenté et disposant d’une équipe technique au sol »
- « Les conditions météorologiques et topographiques étaient favorables »
- « Le risque statistique d’accident lors d’un transport en hélicoptère est de l’ordre de un sur un million. Aucune statistique ne démontre un taux d’accident plus élevé lors de vols en formation. Une collision entre deux aéronefs est une situation extrêmement rare et imprévisible, de sorte qu’ALP ne pouvait avoir conscience de ce danger particulier qui n’était d’ailleurs pas lié à tel ou tel poste de travail particulier »
- « les investigations réalisées n’ont jamais mis en évidence un quelconque dysfonctionnement technique pour expliquer l’accident. ALP n’est pas un professionnel de l’aviation civile. ALP s’était notamment entourée de professionnel de l’aéronautique »
- « ALP a fait appel à une équipe de tournage qualifiée et aguerrie » ;
- « le dispositif contractuel adopté a été effectivement mis en œuvre » ;
- « le choix des hélicoptères et des pilotes est exempt de critiques » ;
- « le vol a été soigneusement préparé, il y a eu plusieurs réunions en amont, à Paris ainsi que sur le site du tournage » ;
- « ALP ne pouvait se substituer aux pilotes qui étaient les seuls à même d’appréhender la réglementation applicable aux vols selon le plan de vol qu’ils avaient arrêté et à en décider de la mise en œuvre »
Par un attendu de principe, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que « L'employeur ne peut s'affranchir de son obligation de sécurité par la conclusion d'un contrat prévoyant qu'un tiers assurera cette sécurité » (position déjà adoptée Cass. soc. 13-6-1991 n° 89-13.616).
Pour la Cour, l’employeur a commis une faute inexcusable en ce qu’il avait ou aurait avoir conscience du danger résultant du vol en formation rapprochée et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver son salarié.
La Haute juridiction rappelle les éléments de faits et de preuve ayant servis à fonder sa décision et notamment :
- le scénario du vol en formation rapproché des hélicoptères a été défini par l’employeur, il présentait un risque certain et est à l’origine directe et certaine de la collision entre les appareils ;
- l’employeur pouvait prendre des mesures pour préserver les passagers de l’accident en excluant la possibilité d’un vol en formation ou en modifiant leurs trajectoires de vol, ce qu’il n’a pas fait ;
- l’employeur n’a pas organisé de vol d’essai sans passagers ;
- l’employeur n’a pas vérifié qu’il existait un moyen de communication entre les aéronefs ou entre ces derniers et le sol ;
- le plan de sécurité et de sûreté aurait dû mentionner un risque de collision ;
- les sociétés tierces, intervenues pour assurer les prestations techniques et de sécurité, demeuraient sous la supervision, la direction et le contrôle de l’employeur.
La Cour de cassation vient donc mettre un terme à 8 ans de procédures : commet une faute inexcusable, l’employeur qui choisissant de prendre le risque se trouvant à l’origine de l’accident, ne prend aucune précaution ni mesure, et ce, quand bien même il aurait délégué la gestion de la sécurité à un tiers.
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