Dans deux arrêts en date du 25 mars 2022 la Chambre mixte de la Cour de cassation a consacré l’autonomie de deux nouveaux préjudices :
Le préjudice « d’angoisse de mort imminente » de la victime directe (RG 20-17.072)
Le préjudice « d’attente et d’inquiétude » des victimes par ricochet (RG n°20-15.624)
L’indemnisation de ces préjudices n’est pas nouvelle. En effet, depuis plusieurs années, la jurisprudence accorde la réparation de ces préjudices dans diverses situations, notamment en matière d’accidents collectifs (catastrophe aérienne, ferroviaire).
Les divers attentats dont la France a été victime ont accentué les demandes d’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente et du préjudice d’attente des victimes par ricochet. En effet, les attentats tel que celui du Bataclan en date du 13 novembre 2015 ont nécessairement amplifié la visibilité de ces préjudices.
Dans le cadre des deux arrêts en date du 25 mars 2022, les juges de la Haute juridiction ont examiné la question de la « reconnaissance d’un préjudice autonome ».
En effet, la difficulté était de rattacher les préjudices « d’attente et d’inquiétude » et « d’angoisse de mort imminente » à un poste de préjudice corporel déjà existant ou, au contraire, de reconnaitre ces préjudices comme autonomes et d’accorder une indemnisation distincte pour ces nouveaux postes de préjudices.
Cass. Ch.mixte 25 mars 2022 (RG 20-17.072)
Dans la première espèce, une femme victime de plusieurs coups de couteau était décédée plusieurs heures après son hospitalisation.
Le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions) avait formé un pourvoi en cassation en réfutant la décision de la Cour d’appel qui avait alloué aux ayants droit de la victime une indemnisation au titre de la souffrance morale liée à la conscience de la mort imminente entre le moment de son agression et son décès, et ce, après avoir alloué à l’indivision successorale une indemnisation au titre des souffrances endurées par la victime avant son décès.
Le FGTI fondait son moyen sur le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime considérant que les différentes souffrances psychiques et troubles associés au décès étaient incluses dans le poste de préjudice des souffrances endurées.
Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation affirme que pour caractériser l’existence d’un préjudice distinct « d’angoisse de mort imminente », il est nécessaire de démontrer l’état de conscience de la victime en se fondant sur les circonstances de son décès.
Sur ce point, la Cour d’appel avait retenu que « la nature et l'importance des blessures, rapportées au temps de survie de la victime, âgée de seulement vingt-sept ans, dont l'état de conscience a conduit sa famille à juger possible son transport en voiture légère jusqu'à l'hôpital, démontrent que [R] [X] a souffert d'un préjudice spécifique lié à la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales causée par une hémorragie interne et externe massive ».
Ainsi, sur le fondement du principe de réparation intégrale du dommage sans perte ni profit la Cour de cassation est venue consacrer la distinction du préjudice des souffrances endurées du fait des blessures et du préjudice de l’angoisse de mort imminente.
Ce préjudice, désormais autonome, doit donner lieu à une indemnisation complémentaire distincte.
Cass. Ch.mixte 25 mars 2022 (RG n°20-15.624)
Dans la seconde espèce, une femme était décédée à la suite d’un attentat. Le FGTI avait adressé à la mère et aux filles mineures de la victime une offre d’indemnisation, notamment au titre de leur préjudice d’affection et au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme.
Estimant que l’indemnisation était insuffisante, la mère de la victime en qualité d’héritière à titre personnel et en tant que représentante légale des filles de la victime a assigné le FGTI en indemnisation de leurs préjudices.
Le FGTI invoquait la violation du principe de réparation intégrale sans perte ni profit.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en considérant que le préjudice d’attente et d’inquiétude est, « par sa nature et son intensité, un préjudice spécifique qui ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement. » Ce dernier ne se confond pas avec le préjudice d’affection et ne se rattache à aucun autre poste de préjudice indemnisant les victimes par ricochet.
En conséquence, le préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes par ricochet doit être réparé de façon autonome.
Le principe de réparation intégrale sans perte ni profit
De jurisprudence constante, la réparation intégrale sans perte ni profit se fonde sur la nomenclature Dintilhac qui énumère les divers postes de préjudices corporels.
Toutefois, cette nomenclature étant indicative, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de consacrer de nouveaux postes de préjudice tel que le « préjudice d’anxiété ».
Ce poste de préjudice indemnise le préjudice subi par les victimes exposées à des produits dangereux tel que l’amiante ou le distilbène pouvant engendrer des pathologies graves.
Ainsi, le préjudice « d’angoisse de mort imminente » de la victime directe et le préjudice « d’attente et d’inquiétude » que subissent les victimes par ricochet viennent compléter la liste des postes de préjudices suivants :
Les dépenses de santé actuelles et futures
Les frais divers
Les pertes de gains professionnels actuels
Les frais de logement adapté
Les frais de véhicule adapté
L’assistance par tierce personne
Les pertes de gains professionnels futurs
L’incidence professionnelle
Le préjudice scolaire, universitaire
Le déficit fonctionnel temporaire
Les souffrances endurées
Le préjudice esthétique temporaire et permanent.
Le préjudice d’agrément
Le préjudice sexuel
Le préjudice d’établissement, …
Lors des propositions d’indemnisation, la victime devra être attentive à l’autonomie de chaque poste de préjudice.
En d’autres termes, la victime devra pouvoir être indemnisée de l’intégralité des préjudices subis, notamment des souffrances endurées ET du préjudice d’angoisse de mort imminente. La prise en compte de ces deux préjudices dans le même poste d’indemnisation diminuerait injustement l’indemnisation des préjudices subis…
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