Depuis le 17 mars 2020, date à laquelle une mesure de confinement fut instaurée afin de limiter la transmission du covid-19, la préfecture de Paris a recouru à une surveillance policière par drones. Le Conseil d'Etat, saisi du problème, a enjoint l'Etat de cesser cette surveillance sur le fondement du traitement des données à caractère personnel.
L'ordonnance de référé du 18 mai 2020
Les faits
La survenance du nouveau coronavirus (covid-19) a entraîné, depuis le 14 mars 2020, une large série de mesures. Les établissements recevant du publics furent fermés, les rassemblements de plus de 100 personnes interdits. Par la suite, ce sont les déplacements sans motifs impérieux qui furent tout bonnement prohibés. La dernière mesure coercitive en date fut l'interdiction de déplacement à plus de 100 kilomètres de son domicile.
Ces mesures, difficiles à faire respecter sur l'ensemble du territoire français, ont justifié une importante répression. A la fin du confinement, soit le 11 mai 2020, l'Etat dénombrait 20,7 millions de contrôles et plus de 1,1 millions de contraventions en l'espace de deux mois.
Cette activité répressive intense a fait l'objet de nombreuses critiques au vu des moyens employés à la surveillance de la population française. Parmi ces moyens : l'usage du drone par les services de police. C'est cet usage qui a fait l'objet d'un recours en référé-liberté par-devant le tribunal administratif de Paris.
Deux associations, "La Quadrature du Net" et la "Ligue des droits de l'Homme", ont demandé le 2 mai 2020 au juge des référés du tribunal administratif de Paris, au titre de l'article L. 512-2 du code de justice administrative (procédure de référé-liberté), de suspendre l'exécution de la décision du préfet de police de Paris d'instituer un dispositif de surveillance par drones afin de faire respecter les mesures de confinement et les interdictions de rassemblement. Cette requête en référé avait pour principal objet d'enjoindre au préfet de cesser immédiatement la captation d'images par drones. Les deux association estimaient qu'une atteinte grave et manifestement illégale ait notamment portée au droit au respect de la vie privée et familiale.
La procédure
Par ordonnance du 5 mai 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Paris rejetait les demandes des deux associations, estimant que les informations captées par les drones au cours de missions de surveillance n'avaient pas un caractère personnel puisque le matériel volant ne permettait pas l'identification des individus filmés ni même l'enregistrement des données sur une carte mémoire selon la note du 14 mai 2020 relative à l'usage des drones par les services de police.
Les deux association relevaient appel de l'ordonnance du 5 mai 2020 rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Paris.
Au soutien de leurs demandes, les associations considéraient que les mesures de surveillances par drone violaient manifestement l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, l'article 5 du règlement général pour la protection des données relatif à la loyauté et à la finalité des données traitées et l'article 14 du règlement général pour la protection des données relatif aux informations à fournir aux personnes auprès desquelles des informations personnelles ont été collectées.
Par une ordonnance de référé du 18 mai 2020, le Conseil d'Etat annulait l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Paris le 5 mai 2020.
Le juge des référés opérait à hauteur d'appel une analyse pleine et entière de la mesure de surveillance mise en place par préfecture de police de la ville de Paris. Il estimait, dans un premier temps, que la mesure était nécessaire pour la sécurité publique et légitime au regard des circonstances. Il définissait ensuite les notions de "donnée à caractère personnel" et de "personne physique identifiable".
Le juge induisait de ces informations, ainsi que de la note du 14 mai 2020 relative à l'usage des drones par les services de police, que les appareils volants étaient équipés de zooms optiques et pouvaient voler à une distance inférieure à celle préconisée dans la note du 14 mai 2020. Dans ces conditions d'utilisation, le juge estimait que les données collectées, quand bien même elles ne seraient pas conservées, pouvaient conduire à rendre identifiables les personnes auxquelles elles se rapportaient.
Le juge des référés estimait que le dispositif de surveillance relevait du champ d'application de la directive n°2016/680 du 27 avril 2016 et de la loi n°78/17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés qui sont applicables aux traitements de données compris dans le champ d'application de ladite directive.
Le juge d'appel ordonnait l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 5 mai 2020 et enjoignait à l'Etat de cesser de procéder aux mesures de surveillance du respect des règles de sécurité sanitaire par drone à Paris.
Analyse
Tout en interprétant strictement les textes, le juge des référés a entendu le traitement des données comme "toute opération ou tout ensemble d'opérations effectuées ou non à l'aide de procédés automatisés et appliqués à des données à caractère personnel, telles que la collecte (...) la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition", et les données personnelles comme "toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant (...) telles que des données de localisation, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique".
Ces définitions ont permis au juge de considérer que la préfecture de police de Paris, même si elle n'avait pas l'intention d'identifier effectivement les personnes, avait en sa possession un matériel susceptible d'identifier une personne grâce à un zoom optique et à une capacité de vol à basse altitude.
Le fait que la préfecture ait accès à ces données à caractère personnel constitue un traitement de données personnelles au sens des textes de loi précédemment cités. Ainsi, comme le souligne le Conseil d'Etat dans le paragraphe 18 de l'ordonnance, une autorisation par arrêté du ministre compétent, ou par décret, est prise après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). L'absence de texte réglementaire préalable à la mise en oeuvre d'un tel dispositif de surveillance entraîne, selon le juge des référés, une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée.
Le Conseil d'Etat veille, le "Big Brother" ne passera pas, pour cette fois...
Point sur la réglementation des drones en France
La réglementation relative aux vols de drones sur le territoire français a principalement fait l'objet d'un arrêté en date du 17 décembre 2015 relatif à l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord.
De manière générale, les drones ne doivent pas causer de dommages aux autres appareils volants. A ces prescriptions viennent s'ajouter une interdiction de vol de nuit. Cette interdiction peut faire l'objet de deux dérogations : si le drone évolue à l'intérieur d'une zone réglementée ou d'une zone de contrôle gérée par un prestataire de service de contrôle de la circulation aérienne relevant du ministre de la défense, ou si l'ensemble des conditions suivantes sont réunies :
Le drone vol à une hauteur maximale de 50 mètres,
La masse du drone n'excède pas 8kg,
Le drone est utilisé hors zone peuplée, sans survol de tiers, en vue (signifie que le pilote dirige visuellement le drone) et à une distance maximale du pilote de 200 mètres ; ou si il est utilisé en zone peuplée sans survol de tiers, en vue et à 100 mètres du pilote maximum,
Le drone est équipé d'un signalement lumineux,
L'éclairage de la zone permet de s'assurer qu'aucun tiers n'y circule.
Le pilote évoluant en vue a une obligation de vigilance à l'égard des autres appareils volants. Il doit notamment détecter tout rapprochement de drone et céder le passage à tout aéronef habité en appliquant à leur égard les préventions d'abordage prévues par les règles de l'air annexées au règlement d'exécution (UE) n°923/2012.
Les drones ne peuvent survoler les zones réglementées et/ou interdites au sens du règlement précité, sauf si le règlement de la zone le prévoit ou que le gestionnaire de cette zone autorise le pilote du drone.
Aucune restriction générale n'est mentionnée concernant la hauteur de vol minimale des drones. Une zone peut cependant être réglementée en ce sens et prévoir une hauteur minimum de vol.
ATTENTION ! Toutes ces dispositions peuvent faire l'objet d'une dérogation lorsque le drone est affecté à une mission de secours ou de police et lorsque les circonstances de la mission et les exigences de sécurité et d'ordre public le justifient.
C'est précisément cette dérogation, inscrite à l'article 10 de l'arrêté du 17 décembre 2015 relatif à l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord (NOR: DEVA1528469A), qui fut exploitée par les services de police dans le but de s'assurer du respect des mesures de non-rassemblement et de distanciation sociale.
Concernant les drones de "loisir", principalement utilisés par les particuliers dans un objectif de pur divertissement, ils devront, si ils pèsent plus de 800 grammes, émettre un signalement électronique depuis le décret n° 2019-1114 du 30 octobre 2019. Attention, cette obligation ne s'applique pas aux drones pilotés dans un cadre associatif et/ou dans les espaces clos prévus à cet effet.
Les caractéristiques, très techniques, du signalement électronique sont précisées dans l'arrêté du 27 décembre 2019 (NOR : ECOI1934044A).
La hauteur maximale d'un vol de "loisir" est de 150 mètres, sous peine de 1 à 6 mois d'emprisonnement et de 15 000 à 75 000€ d'amende, ainsi que la confiscation du matériel. Le pilote a pour obligation de :
Ne jamais perdre de vue son appareil volant,
Ne pas le faire voler au-dessus de l'espace public en agglomération,
Ne pas survoler les sites sensibles (centrale nucléaire, terrains militaires...),
Ne pas le faire voler à proximité des terrains d'aviation,
Ne pas diffuser les prises de vue sans l'accord des individus concernés.
La pratique du drone est, en France, réglementée selon le poids et la puissance de l'engin. Pour un drone de moins de 25 kg avec un moteur thermique de cylindrée inférieure ou égale à 250cm3 ou d'une puissance inférieure ou égale à 15kW, le vol est alors de catégorie "A" et ne nécessite pas d'autorisation. Une formation préalable est néanmoins recommandée pour éviter tout risque d'accident.
Pour les drones dépassant les caractéristiques citées, le vol, de catégorie B, n'est possible qu'après une autorisation de vol de la part de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). Les différents formulaires sont disponibles sur ce site.
Comments