Le 20 août 2020, la Préfecture de police des Bouches-Du-Rhône a pris un arrêté interdisant aux supporteurs du Paris-Saint-Germain de soutenir de manière ostentatoire leur équipe favorite dans les rues du vieux port. Cette interdiction, rapidement abrogée, pose certaines questions juridiques. Sur quel fondement a-t-elle été prise ? Y a-t-il des antécédents ? D'autres mesures ne pouvaient-elles pas être choisies plutôt qu'une interdiction portant atteinte à la liberté d'aller et venir ? Voici une affaire qui ne manquera pas de rappeler le traitement réservé aux supporteurs de football dans le pays des droits de l'Homme.
Chronologie des événements
Le 18 août 2020, le Paris-Saint-Germain affrontait le Rasenballsport Leipzig dans le cadre de la demie finale de la Ligue des Champions. Remporté haut la main par l'équipe menée par Neymar et MBappé (3-0), le match avait entraîné quelques débordements de joie à travers le pays, mais également jusqu'à... Marseille, rivale historique du club de la capitale.
Le soir même, la presse rapportait des heurts survenus à la fin du match entre supporteurs parisiens et marseillais. Des faits de violences sur des supporteurs arborant les couleurs du Paris-Saint-Germain ont été rapportés. Suite à cet incident, un groupe d'une centaine de marseillais a continué à déambuler dans les rues du Vieux-Port tout en entonnant des champs hostiles aux supporteurs parisiens et en faisant usage d'engins pyrotechniques.
C'est donc dans ce contexte de tensions entre supporteurs parisiens et marseillais que la Préfecture de Police des Bouches-Du-Rhône a pris le 20 août 2020 un arrêté "portant interdiction de stationnement, de circulation sur la voie publique et de détention et usage d'engins pyrotechniques à Marseille à l'occasion du match de football de la finale de la Ligue des Champions le dimanche 23 août 2020".
Nonobstant son abrogation intervenue dans la foulée par un arrêté préfectoral en date du 21 août 2020, cet arrêté du 20 août 2020 pose certaines questions juridiques auxquelles nous tenterons de répondre dans le présent article.
Le contenu de l'arrêté du 20 août 2020
L'article L. 332-16-2 du code du sport est ainsi libellé :
"Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public.
L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique.
Le fait pour les personnes concernées de ne pas se conformer à l'arrêté pris en application des deux premiers alinéas est puni de six mois d'emprisonnement et d'une amende de 30 000 €."
Sur le fondement de cet article, l'arrêté abrogé disposait dans son article 2 que :
"Du dimanche 23 août 2020 à 15h00 au lundi 24 août 2020 à 3H00, il est interdit à toute personne se prévalant de la qualité de supporteur du Paris-Saint-Germain, ou se comportant comme tel, de circuler ou de stationner sur la voie publique sur le Vieux-Port et sa périphérie dans les 1er, 2ème, 6ème et 7ème arrondissements de la commune de Marseille".
Il était donc interdit, non pas de porter un maillot du Paris-Saint-Germain en toutes circonstances comme nous avons pu le lire dans la presse, mais de se prévaloir de la qualité de supporteur du club de la capitale ou de se comporter comme tel sur la voie publique et plus particulièrement dans les rues du Vieux-Port.
Se pose ici une première question. Quels sont les indices laissant à penser qu'une personne se comporte ou se prévaut d'une qualité de supporteur ? Une écharpe aux couleurs du club suffit-elle ? Un bonnet ? Une coque de téléphone ? On pourrait alors énumérer l'attirail complet du parfait supporteur tant les produits dérivés abondent. Outre l'aspect vestimentaire et décoratif, une personne chantant les louanges de son club favori en plein milieu du Vieux-Port fera sans doute mieux l'unanimité aux yeux des autorités.
Second point. L'article L. 332-16-2 du Code du sport évoque clairement "les lieux d'une manifestation sportive". Or, toute personne s'intéressant un tant soit peu au football ces dernières semaine sait qu'en raison de la crise sanitaire, tous les matchs restant de la Ligue des Champions à partir de son interruption seront joués à Lisbonne, dans le Stade de la Luz, à huis clos.
Comment un article applicable aux lieux accueillant une manifestation sportive peut-il être visé dans un arrêté réglementant la circulation d'individus ? D'autres mesures auraient pu être prises au titre des pouvoirs de police administrative générale du Préfet, en plus d'un déploiement de forces de l'ordre ciblé et de l'installation d'une fan zone afin de prévenir ces heurts sans pour autant interdire à chacun de supporter son équipe de football préférée.
Les dispositions de l'arrêté du 20 août 2020 ont, semble-t-il, été prises de manière hâtée et disproportionnée. Abrogées le 21 août 2020, ces dispositions n'en restent pas moins inscrites dans un mouvement hostile aux supporteurs de football.
La France et les ultra, une relation placée sous le signe de l'incompréhension
Cet arrêté du 20 août 2020 aurait très bien pu passer inaperçu et ne pas être relayé par les médias. Cependant, le fait que l'arrêté concerne la finale de la Ligue des Champions ainsi que le contexte de rivalité historique entre Paris et Marseille a rapidement attiré l'attention. De mémoire de juriste, aucun arrêté n'avait jusqu'alors interdit aux individus de "se comporter" comme supporter de telle équipe et encore moins de "s'en prévaloir".
Ordinairement, aucune presse, sinon la presse spécialisée, ne relate les interdictions visant les supporteurs de football. Certes, l'interdiction visée ici est spéciale en ce qu'elle s'applique non pas à un stade ou à un lieu accueillant un tel événement, mais à plusieurs quartiers de Marseille, situés à plus de 1 600 kilomètres de Lisbonne, où a eu lieu la finale de la Ligue des Champions. Cependant, de nombreuses interdictions sont édictées par les préfets de France et de Navarre tout au long de la saison régulière de football professionnel, sans pour autant provoquer ce genre de tollé.
A ce propos, l'Association Nationale des Supporteurs a dénoncé l'utilisation abusive de ces arrêtés, tantôt pris par le préfet de département pour interdire le stade et ses abords aux supporteurs voisins, tantôt pris par le Ministre de l'intérieur pour interdire les déplacement dans le département ou la commune dans laquelle se déroulera la rencontre.
Pour la saison 2014-2015, 39 arrêtés ont été pris. Ce chiffre s'élève à 210 sur la seule année 2016.
Le sujet "Football" ne semble pas être à l'ordre du jour pour les autorités. Ce mouvement de répression et d'absence de dialogue semble perdurer depuis 2011 sans qu'aucune instance, que ce soit la ligue professionnelle de football ou encore l'association nationale des supporteurs, n'ait été entendue par le ministère de l'intérieur.
Suite aux différents heurts ayant émaillé presque systématiquement les rencontres footballistiques de ces dernières semaines, il semblerait que les autorités exercent une sorte d'amalgame entre casseurs et supporteurs de football, sans vraiment chercher à identifier puis isoler les éléments perturbateurs. Le dimanche 23 août 2020, date à laquelle le Paris-Saint-Germain a perdu la finale face au Bayern de Munich, aucun supporteur de l'Olympique de Marseille n'était présent dans la capitale, ce qui n'a pas empêché les troubles à l'ordre public et la dégradation de plusieurs véhicules et commerces.
Les supporteurs amoureux de football vont donc encore, semble-t-il, longtemps souffrir de la bêtise de certains individus mal intentionnés...
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